Si vous pensiez en connaître un rayon sur les fées, oubliez tout de suite ce que vous aviez en tête. Exit les paillettes, les robes vaporeuses et la bienveillance dégoulinante et welcome les combis noires près du corps, les dents pointues et le regard fou. Il y a huit ans, elles ont fait pleuvoir sur un monde fichu (N.B. : le nôtre) une folle apocalypse avec une recette bien à elles : 0 % de morts et 100 % de destruction de la société de consommation, des grands centres urbains et des infrastructures de production et de communication. La Rainbow Apocalypse, une certaine idée du progrès…

C’est dans ce contexte que l’on découvre un insolite trio féminin et sa bibliothèque itinérante. Sarah, bibliothécaire en chef et narratrice principale au ton grinçant et « un poil » désabusé, est une humaine bad ass qui manie la machette à merveille. Elle est accompagnée de deux chimères, des humaines transformées en créatures fabuleuses par des fées à l’humeur instable : Maylis, une licorne râleuse au langage fleuri et Léa, une jeune et innocente dragonne. Ces trois-là ont uni leurs solitudes et leurs forces et parcourent une France de retour au Moyen Âge, mangée par la forêt, traversée par des êtres paumés qui ont enclenché le mode survie : voyageurs solitaires, bandits de grand chemin ou groupes factieux. Tout un petit monde qui essaie de tirer son épingle dans un jeu souvent violent où la loi du plus fort est la règle, arbitré par les nouvelles maîtresses du monde qui comptent les points du haut de leurs tours.
Un beau matin (enfin, juste un matin), les trois héroïnes tombent nez à nez sur une étrange construction qui semble avoir poussé en pleine nature. C’est une station-service, une comme avant, à l’époque du JT de 13 h, des rayons de supermarché bondés et de l’auto-cuiseur. Poussée par la curiosité et l’espoir de découvrir de quoi rendre la vie un peu plus confortable, Sarah entre… Un choix décisif qui la propulsera irrémédiablement dans une mission meurtrière commanditée par les fées et l’obligera à affronter un passé duquel elle aussi aurait bien fait table rase.
Rainbow Apocalypse est un roman post-apocalyptico-fantastico-déjanté des plus réussis. La formidable plume de Tristan Valroff construit un système d’une puissante inventivité dans lequel on plonge la tête la première avec étonnement et plaisir. Rebondissements, revirements, suspens, changements de décors confèrent une énergie folle au récit de la quête de Sarah. C’est haletant, parfois trash, impertinent et débordant d’humour corrosif. La force de ce livre réside aussi dans ses personnages rugueux, déroutants, et leurs dialogues mordants. Dans ce monde sans boussole et pas franchement arc-en-ciel, humains, fées et chimères révèlent tour à tour leurs parts d’ombre et de lumière, coincés qu’ils sont entre les fantômes du passé et les incertitudes du présent. Mais Rainbow Apocalypse, ce n’est pas que de l’action et des secousses. Entre les cascades et les coups de théâtre, des interstices s’ouvrent pour placer la force de l’amitié, la difficulté à s’accepter et la possibilité de se réinventer au coeur du récit.
Un roman étourdissant, qui nous fait partir tout près, dans le sud d’une France métamorphosée dont on reconnaît de vagues contours, et très très très loin à la fois…
Rainbow Apocalypse, Tristan Valroff, Âge : 14+, Pages : 480, ISBN : 978-2-8126-2357-8, Publication : Mai 2022 – 16,90 €, Le Rouergue- Collection Epik
